Homélie du Père Emmanuel-Marie :

« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? L’homme est devenu aveugle depuis le péché originel. Sa conscience s’est obscurcie et sa volonté de plaire à Dieu s’est affaiblie. Il en résulte un ego surdimensionné, un « Moi je » qui a un besoin vital de s’affirmer, de s’auto-suffire, de triompher des autres, car inconsciemment, l’autre est un rival. De même, il a un besoin insatiable de prendre, de posséder, de séduire, d’étaler son savoir, et de critiquer l’autre ; la 1ʳᵉ lecture, tirée de Ben Sira le Sage, nous dit que ce qui sort de notre bouche, est révélateur de l’état d’aveuglement de notre cœur. Cet ego surdimensionné, c’est la « poutre » qui est dans notre œil. Une poutre que nous ne voyons pas.
Jésus est venu dans le monde pour guider les aveugles que nous sommes, car Lui Il voit. Il n’a pas de poutre dans son œil. Il est l’Homme parfait, parce qu’il ne prend rien qu’Il n’ait reçu du Père par le Saint-Esprit. Il ne fait qu’accueillir la volonté de son Père, et s’unir à elle. C’est le critère de la perfection. La Vierge Marie non plus n’a pas d’ego. Elle n’est qu’accueil de la volonté de Dieu, elle ne s’approprie rien. Elle est la Femme parfaite. Elle n’a pas de poutre dans son œil : « Qu’il me soit fait selon ta Parole ». Et c’est pourquoi Jésus ne refuse rien à sa mère, il sait que sa volonté ne fait qu’un avec la volonté du Père.
Tous les hommes ont besoin de Jésus pour guérir de l’aveuglement, et ils ont besoin de Marie pour recevoir Jésus, Source de leur guérison. À force de fréquenter Jésus et Marie, à force de faire de leurs Cœurs notre demeure, notre ego apprend à mourir à tout ce qui l’éloigne de la volonté divine. Et ce jusqu’à notre pleine guérison, quand notre être mortel revêtira l’immortalité, comme le dit st Paul aux Corinthiens ; c’est-à-dire quand le ciel s’ouvrira pour nous, si nous avons consenti jusqu’au bout à suivre le Christ sur son chemin d’abaissement. Le plan de Dieu est de redonner à l’humanité sa splendeur première, c’est son œuvre, mais il a besoin de notre coopération : « Rendons grâce à Dieu, dit st Paul, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ… soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur… ».
Concrètement, cela veut dire de ne pas perdre son temps à vouloir changer les autres, chercher à « enlever la paille » qui est dans l’œil de son frère, de son voisin. Éclairer son frère peut être une charité, mais il faut que la matière soit grave, que le salut de mon frère en dépende, et que cela soit guidé par l’amour que je lui porte, et non par ma gêne. Pourquoi le Seigneur parle-t-il de paille et non plus de poutre dans l’œil du frère ? Parce qu’aux yeux de Dieu la faute, le péché, est une paille, pourvu qu’on la reconnaisse et que l’on s’en repente sincèrement. Elle est « une goutte d’eau, disait Ste Thérèse, dans le brasier ardent de la miséricorde divine ». Mais notre condition de pécheur nous met une poutre devant les yeux, qui nous rend aveugle ; c’est pourquoi nous avons besoin de Celui qui voit pour avancer : Jésus ! Lui seul peut avoir raison de cette poutre. Et comment nous l’enlève t-il ? En nous prenant le bras pour être notre guide, ou plutôt en prenant le cœur que nous lui donnons, pour l’habiter. Il est beaucoup plus utile de laisser Jésus être les yeux de notre cœur par notre union à Lui dans la prière et le sacrifice, que de vouloir nous-mêmes changer les autres. Le chrétien ne doit jamais se considérer comme un voyant au milieu d’aveugles, ce serait une manière de se voir supérieur aux autres… le chrétien doit se considérer comme un aveugle au milieu d’autres aveugles, mais un aveugle qui a trouvé l’Ami qui ne le lâchera jamais, même s’il commet des imprudences, Il est son Guide pour toujours. S’il lui fait une confiance « aveugle », il prendra à coup sûr une part active à l’œuvre du Seigneur, qui veut à travers notre fidélité, conduire la multitude au salut.